La question
Sylvie Denis a dit (dans l'article de Génération Science-Fiction à lire ici) :
"Pour quelle raison bizarre et irrationnelle des êtres humains adultes, responsables et occidentaux, pourvus pour la plupart de conjoints et de progéniture, de métiers, de positions sociales même, enfin bref, des gens comme vous et moi, lisent-ils des histoires d'empires galactiques, de batailles spatiales, d'aventuriers stellaires et autres fariboles situées dans des futurs aussi lointains qu'improbables ?"
Une question pertinente.
Une question à laquelle je vous invite à répondre. Oui, vous, Guillaume, Ferocias, Arutha, Gromovar, Efelle, Lhisbei, Spocky, BiblioMan(u), Val, Anudar... Bref, tous les toqués de Planète SF.
Une question d'autant plus pertinente que je constate que le Summer StarWars Episode V, évoqué çà et là dans ces pages, rencontre cette année un succès très important chez les blogueurs SF. Ce défi concerne le space opera et le planet opera, des genres particulièrement honnis de ceux qui ne supportent pas la SF.
Voici, pour information, la réponse donnée par Sylvie Denis (dans le même article) :
"Le space opera, c'est ni plus ni moins un moyen comme un autre de se faire citoyen de la galaxie, et dans la mesure où c'est le seul qui soit à notre portée de citoyen de ce siècle, je ne vois vraiment pas pourquoi s'en priver."
Ma réponse
Cette question là, je me la suis posée souvent. Bon sang, mais pourquoi aimé-je autant la SF (en général) et le space opera (en particulier) ?
Pas de piste du côté des monomaniaques des jeux de rôle (n'en déplaise à Hugin et Munin...). Je n'ai jamais joué à un jeu de rôle de ma vie.
Voici la réponse que j'ai donnée il y a quelques temps à Gromovar dans son interview du lundi, réponse faite sans trop y réfléchir :
"[J'y trouve]... de quoi m'éclater totalement le citron (celui qui fait Blop Blop, rappelez-vous) en toute légalité. Même pas besoin de beuh ou de rails de coke... Le panard, quoi.
Et aussi un moyen de réfléchir aux enjeux sociaux et politiques de notre civilisation qui permet de conserver une distance « indolore » et ludique avec le sujet de la réflexion."
Une réponse qui mérite développement. En effet, depuis StarWars (la novelisation lue lorsque j'étais ado), j'ai découvert que l'imagination n'avait aucune limite, et que la science, en particulier, n'en constituait pas une. Au contraire, elle était un tremplin pour débrider l'inspiration des auteurs. Ce qui, au passage, m'a un peu réconcilié avec les sciences, parce que j'étais tellement quiche en maths que j'ai failli laisser tomber le reste (physique, chimie, bio) dès la première. Mais je digresse.
Mon esprit cartésien et pragmatique me porte vers la SF, plus encore que vers la fantasy ou le fantastique (bien que mes lectures m'y amènent également), car la cohérence d'un univers est pour moi tout aussi importante que l'histoire racontée. Avoir de l'imagination, c'est bien. Lui donner une véritable cohérence, rendre un univers crédible, c'est mieux. L'exercice est extrêmement contraignant, et j'ai souvenir d'un écrivain connu expliquant sur un plateau de télévision qu'il ne pourrait jamais écrire de la SF, parce que c'était, à son sens, beaucoup trop difficile pour lui. Dommage, je ne me souviens pas qui est cet écrivain, car il est le seul du mainstream littéraire que j'aie jamais entendu tenir ce type de discours à propos de la science-fiction.
Au fur et à mesure de mes découvertes littéraires, en particulier Dune lorsque j'étais en fac, j'ai également compris que la SF pouvait me donner une lecture du monde au moins aussi pertinente que mes études d'histoire (spécialités : renaissance française et histoire des religions, si ça intéresse quelqu'un). Pourvu, bien entendu, que les auteurs fussent bien renseignés, quitte à plagier quelques sources sûres.
Car, sous des dehors calibrés, la SF permet de donner - et de recevoir - quelques leçons socio-économiques, politiques et scientifiques étonnantes. Notre actualité se transforme en histoire (comme quoi, il y a un lien, finalement), et l'on découvre la portée de certains évènements passés inaperçus par ailleurs.
Jules Verne savait comme personne à son époque utiliser les découvertes scientifiques pour produire des anticipations étonnantes. Je pense en particulier au mélange à base de potasse que les explorateurs utilisent pour absorder le CO2 et rendre respirable l'atmosphère dans le boulet de canon envoyé sur la lune dans De la terre à la lune et Autour de la lune.
De son côté, et plus récemment, Makoto Yukimura, avec son manga Planètes, exploitait avec beaucoup d'à propos les données sur la pollution orbitale, révélées par de multiples incidents depuis la fin des années 70.
Je citerai aussi Danielle Martinigol et son roman pour ados Les abîmes d'Autremer, qui a fait récemment l'objet d'une petite discussion entre Anudar et moi. Ce roman exploite de façon très réussie, trouvé-je, le débat sur la déontologie des médias et leurs méthodes d'investigation. Un sujet à la mode, souvent évoqué, presque un marronnier. Danielle Martinigol le transpose dans un space opera adapté au jeune public avec un sens de l'à-propos intéressant.
Pierre Bordage, dans Les guerriers du silence, développe les thèmes spirituels qui lui sont chers, sur le bouddhisme et les influences judéo-chrétiennes, proposant sa propre lecture du monde et son combat contre toutes les formes de despotisme religieux.
Enfin, ceux qui me connaissent bien le savent, je ne pourrai pas passer sous silence la franchise Honor Harrington, de David Weber, qui extrapole les particularités de sociétés "socialistes" (la République du Havre) et libérales (le Royaume de Manticore) pour raconter un univers de pur space opera, avec des batailles spatiales, certes, mais aussi des luttes d'influences politiques et économiques, ainsi que des développements idéologiques et religieux de grande ampleur.
Ces exemples, une goutte d'eau dans un océan (il ne tient qu'à vous d'en proposer d'autres), illustrent mon propos : la SF est philosophique, éthique, politique. La SF est divertissante, oui, dans la plupart des cas. C'est d'ailleurs bien pour cela que j'en lis autant. Mais elle n'est pas (souvent) gratuite, vaine ou futile.
C'est pourquoi, en guise de conclusion, je me cite à nouveau* :
"[La SF est pour moi] un moyen de réfléchir aux enjeux sociaux et politiques de notre civilisation qui permet de conserver une distance « indolore » et ludique avec le sujet de la réflexion."

* On n'est jamais si bien servi que par soi même. ^^