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  • Ce que font les bibliothécaires quand vous ne les voyez pas

    homme invisible.pngRécemment, j'ai pris les nerfs, sur Twitter/X. Parce qu'une usagère m'a fait la remarque de trop pendant ma journée de travail, me déclarant, le ton méprisant et l'oeil revanchard, que mon métier n'était pas fatigant. Alors que je sors tout juste d'une très longue période d'arrêt maladie puis de temps partiel thérapeutique, justement parce que ledit métier m'a fichu les articulations en vrac...

    Alors voilà, comme j'en ai marre qu'on nous regarde de haut, nous les bibliothécaires, j'ai décidé de dire clairement ce qu'on fait vraiment dans mon métier. Vraiment. Tous les jours.

    Et laissez tomber les "t'as qu'à bosser en usine, tu verras ce que c'est" : j'ai bossé en usine, en 3 / 8. Je suis donc parfaitement capable de comparer, merci.

     

    On aurait aussi pu appeler cet article : que font les bibliothécaires quand la bibliothèque est fermée ?

    Mais ce serait réducteur.

    Car les bibliothécaires ne passent pas tout leur temps de travail en accueil public.

    C'est à dire que si la bibliothèque est ouverte, disons, 30h par semaine, ils ne passent pas, eux, 30 heures en salle à t'accueillir sans avoir rien d’autre à faire que t'inscrire, ranger des documents, et te conseiller en rayon.

    En tout cas, pas dans les bibliothèques territoriales (différentes des bibliothèques universitaires). Et là, je te parle du métier de bibliothécaire en bibliothèque territoriale.

     

    D'abord, un bibliothécaire bosse à plein temps quand il travaille dans des conditions normales : 35, 36, 37, 38h... par semaine, comme tout le monde. En général du mardi au samedi, parfois du lundi au samedi avec des aménagements.

    C'est aussi, hélas, un métier où il y a énormément de postes précaires, avec des contrats à temps partiels et à durée déterminée où les gens sont payés au SMIC alors qu'ils ont le plus souvent des diplômes universitaires allant du DU au Master.

    Le bibliothécaire a des horaires décalés : il travaille le samedi, il travaille souvent assez tard le soir.

    S’il veut un temps partiel, pas question d'avoir son mercredi pour s’occuper des gosses : quand tu es bibliothécaire, tu passes toutes les heures de ton mercredi au taf.

    Il a 5 semaines de congés par an, un peu plus s'il a des RTT. Comme tout le monde.

    Il galère à poser ses congés si sa bibliothèque ne ferme pas l'été, parce qu'il faut assurer le service public et que toutes les collectivités territoriales ne prennent pas des vacataires pour compléter l'équipe en période estivale.

    Donc c'est pas un métier kids-friendly : t'es pas là les mercredis, t'es pas là les samedis voire les dimanches, t'es pas plus là pour les vacances scolaires que les autres et t'es pas là une partie des soirs de semaine.

     

     

    Ensuite, si toi, lecteur, tu restais de 10h à 19h dans les murs d'une bibliothèque municipale de taille moyenne, tu verrais les bibliothécaires se relayer toutes les 2, 3 heures.

    Ceux qui étaient en salle avec toi disparaissent soudain de ta vue, remplacés par de nouveaux.

    Et là... C'est le drame.

    Car pour toi, ils ont arrêté de travailler.

    Mais eux, en fait, considèrent souvent que c'est le moment où ils peuvent "enfin" s'y mettre.

    Bah ouais.

    De là à dire que tu les empêches de faire leur boulot, il n 'y a qu'un pas. Que je ne franchirai pas, parce que sans toi, leur boulot n’a pas de sens.



    Voici donc, ô noble usager des bibliothèques, devant tes yeux ébahis, ce que font les bibliothécaires quand tu ne les voies pas.

     

    Ils rencontrent (encore et toujours !) du public

    Les crèches, les écoles, le collège, le lycée, les seniors, les associations, le centre social, le centre de loisirs viennent à la médiathèque pour des visites, des recherches, des réunions, des projections, des formations. Et ils viennent souvent quand la bibliothèque est fermée !

    L'inverse est tout aussi vrai : les bibliothécaires partent à l'extérieur, en « hors les murs », pour des interventions régulières auprès des EHPAD, des tous-petits, dans les écoles, à la piscine, au parc, au centre social, et à diverses manifestations de la ville.

    Les bibliothécaires sont là pour préparer leur intervention en amont, ils sont là pour accueillir et accompagner ces groupes, voire les former, ils sont là pour ranger après eux et faire un bilan.

    Quand ils font ça, toi qui viens à la bibliothèque, tu ne les vois pas.

     

    Ils préparent les animations

    En bibliothèque, on organise en permanence des contes, histoires, spectacles, concerts, projections, histoires, conférences, expositions et rencontres, organisations de prix, et même des formations à l'informatique. Et tout cela se prépare longtemps en amont.

    Il faut chercher et sélectionner les animations et les partenaires, contacter et convaincre les intervenants, fournisseurs, experts ou artistes, négocier les contrats, prévoir les contraintes techniques, mettre à jour les ordinateurs, les tablettes, tous les équipements numériques, planifier le tout dans un calendrier en évitant de coller telle ou telle animation en même temps que telle autre, (ou avec les matchs de la Coupe du Monde...).

    Avant et après le moment T, les bibliothécaires sortent ou rentrent des tables, des chaises, déplacent les bacs et des fauteuils, installent et désinstallent le matériel électronique et scénique.

    Quand ils font ça, toi qui viens à la bibliothèque, tu ne les vois pas.

     

    Ils achètent des livres, des CD, des DVD

    Toute l’année, tout le temps. Parce que le marché de l'édition ne s'arrête jamais, les bibliothécaires doivent suivre l'actualité culturelle et surveiller en permanence le marché des livres, de la musique, des films, des jeux, des chaines youtube, des podcasts...

    Pour bien acheter, les bibliothécaires doivent :

    • sélectionner parmi le flot de nouveautés les documents qui ont un intérêt pour les habitants de la commune. Cette sélection est un très gros travail : par exemple, 60 000 livres paraissent chaque année en France. Les bibliothécaires des villes de moins de 15 000 habitants ont les moyens d’acheter environ 1 à 2 % de cette production. Alors ils passent beaucoup de temps à chercher et à choisir les documents les plus pertinents, ils discutent avec les libraires pour se faire conseiller sur les nouveautés. Ils lisent des revues spécialisées et des critiques pour préparer leurs acquisitions. Et enfin, ils passent  encore plus de temps à les éliminer au moment de la commande finale, parce qu’il faut rentrer dans le budget (c’est le moment le plus douloureux) !
    • remplacer les documents disparus ou détériorés, et vérifier leur bon fonctionnement lorsque ce sont des CD, DVD, liseuses.
    • développer les collections récemment créées ou un domaine particulier jusque-là peu ou mal représenté dans les collections.

    Les acquéreurs de la bibliothèque se consacrent à la musique et au cinéma, aux jeux, aux applications informatiques, aux livres papier, audio et numériques, pour les enfants et les adultes.

    Chacun suit un budget, gère des commandes, des factures, remplit des formulaires réglementaires (vive l’administration) et fait de la veille éditoriale et documentaire (quelles nouveautés acheter, pour quel public, sous quelle forme ? Quelle ressource repérer et médiatiser pour les usagers ?).

    Quand ils font ça, toi qui viens à la bibliothèque, tu ne les vois pas.

     

    Ils enregistrent les nouveautés

    Les bibliothécaires réceptionnent, cataloguent, indexent et équipent les documents nouvellement arrivés.

     

    Ils vont acheter les documents commandés en librairie ou se les font livrer à la médiathèque, puis ils les pointent.

    Ils cataloguent et indexent les documents achetés dans la base de données de la médiathèque, ainsi que les revues et les journaux (c'est le bulletinage), et même les ressources en ligne (les chaines Youtube, les podcasts). Cela sert à établir la carte d’identité du document ou de la ressource : l’auteur, l’éditeur, le nombre de pages ou la durée, le contenu.

    Le catalogage permet de les recenser et pour toi, de les trouver lorsque tu les cherches via le catalogue du site web. C’est une opération qui prend du temps (même si on sait en gagner en automatisant une partie du processus), totalement invisible pour toi et… totalement indispensable.


    Ils équipent les CD, livres et DVD. Comme les documents seront consultés et empruntés des centaines de fois, ils doivent être préparés à ce marathon. Ils sont donc tamponnés, renforcés, étiquetés et plastifiés. Les bibliothécaires leur posent une cote, sorte d’adresse personnelle qui permettra de les retrouver dans la médiathèque.

    Quand ils font ça, toi qui viens à la bibliothèque, tu ne les vois pas.

     

    Ils entretiennent et analysent les collections

    Ils rangent, ils vérifient, ils réparent, ils « désherbent ».

     

    Dans une collection de plusieurs dizaines de milliers de documents, un document mal rangé est un document perdu. Chacun à la bibliothèque participe au rangement. Les bibliothécaires rangent tous les jours les retours, et passent régulièrement en revue des segments complets du fonds pour repérer les égarés.

     

    Chaque document rendu par les usagers est vérifié et nettoyé, avant d’être rangé.

     

    Ils sont souvent réparés, scotchés, collés, reliés, lissés, renforcés pour prolonger leur durée de vie.

    Certains sont plus fragiles que d'autres : les DVD, les gros romans au dos large exigent des réparations fréquentes. Certains se perdent : une ressource en ligne peut disparaître, il faut donc vérifier régulièrement les liens.

     

    Le bibliothécaire fait du désherbage : il retire au fur et à mesure les documents usés, périmés, inappropriés pour les mettre en réserve, les donner ou les recycler. Cela permet de faire de la place aux nouveautés. Sinon, il faudrait agrandir la médiathèque tous les ans !

     

    Le bibliothécaire extrait régulièrement des statistiques d’utilisation de son logiciel, et les exploite pour voir comment il peut améliorer son travail : les stats lui servent à mieux acheter, mieux désherber, mieux déployer, mieux coter, mieux réorganiser, bref, mieux adapter aux publics concernés les segments de collection dont il a la charge.

    Quand ils font ça, toi qui viens à la bibliothèque, tu ne les vois pas.

     

    Ils restent en contact avec toi !

    Les bibliothécaires produisent des programmes d'animation, des affiches et des brochures d'information.

    Ils éditent des listes de nouveautés. 

    Ils élaborent des sélections thématiques.

    Ils attribuent des coups de cœur.

    Ils rédigent des critiques d'oeuvres.

    Et bien sûr, ils diffusent ces informations dans la bibliothèque, dans la ville et sur le web.

     

    Et puis, il te préviennent quand ta réservation est arrivée, quand tu as oublié de rendre tes documents, quand ils vont faire une animation qui pourra t’intéresser, toi particulièrement.

    Bref, les bibliothécaires communiquent avec toi, par tous les moyens possibles.

    Là encore, quand ils font ça, toi qui viens à la bibliothèque, tu ne les vois pas. Et en plus tu croies que ça leur prend 2 secondes et 3 clics...

     

    Ils se réunissent et rendent des comptes

     

    Les bibliothécaires font beaucoup de réunions. Beaucoup trop, si tu veux mon avis. Mais ces réunions de préparation, d’organisation et de bilans sont indispensables au fonctionnement de la bibliothèque.

    Un bibliothécaire peut faire entre 1 et 3 réunions par jour, bien plus s’il est responsable de la structure. Et bien sûr, il en fait des comptes-rendus, écrits ou oraux, selon les nécessités...

    Tous les ans, les bibliothécaires élaborent un rapport d’activité, souvent plusieurs. Pour la Direction du Livre et de la Lecture, pour sa tutelle (commune, interco, département…), où ils rendent compte de leur activité et, au fond, de l’utilisation des fonds publics. Avec des chiffres, des diagrammes, des décomptes. Une vraie purge, mais on en a besoin. Et pour faire ces rapports annuels, tous les jours, les bibliothécaires remplissent des tableaux d’indicateurs : combien de personnes pour cette animation? Quel coût ? Quels partenaires ? Quels usages  ?

    Quand ils font ça, toi qui viens à la bibliothèque, tu ne les vois pas.

     

    La réponse à LA question que vous vous posez tous :

    Avec tout ce que je viens de te dire, tu imagines bien maintenant que les bibliothécaires lisent des livres, regardent des films et écoutent de la musique, oui...mais, le soir, après leur journée de travail, comme tout le monde !

    Pire, pour toi, c'est du plaisir. Alors que pour ton bibliothécaire, c'est aussi, et parfois uniquement, du boulot.

     

    En conclusion

    T’es pas bibliothécaire si tu ne connais pas par coeur la formule du calcul du taux de rotation et le sens de l’acronyme IOUPI.

    T’es pas bibliothécaire si tu ne sais pas que les cotes 150 sortent beaucoup plus que les 510 en BM.

    Et t’es pas bibliothécaire si tu n’as rien compris à la phrase précédente !

     

    Bref, être bibliothécaire, c’est un métier qui s’apprend.

    C’est un métier qui nécessite une heure de travail invisible pour chaque document que tu vois en rayon et bien plus encore pour chaque séance d'histoire, de rencontre avec un auteur, de concert, de projection.

    C’est un métier intéressant, oui. Mais il est bien plus fatigant que ce que tu vois, toi, depuis ta lorgnette de lecteur.

    C’est un métier où, si tu ne vois pas le travail effectué pour que tu trouves non seulement ce que tu cherches à la bibliothèque, mais aussi ce que tu n’y cherches pas, c’est la preuve que cette quantité effroyable de tâches invisibles a fonctionné.

     

    T’as rien vu de ce qu’on fait ?

    Alors c’est qu’on a (trop) bien fait notre job.

     

    Parce que des fois, on aimerait être plus vus.

    Et arrêter de se taper des remarques de vieille bique comme quoi « ça va, c’est pas fatigant ! »