Je viens de terminer ce roman de Vernor Vinge, un écrivain de science-fiction américain qui a relativement peu écrit (Au tréfonds du ciel, Rainbows End). Nonobstant, il a plusieurs prix littéraires de SF à son actif, dont trois Prix Hugo. C'est dire si l'homme est doué.
Un feu sur l'abîme est une vieille baderne de 1992 (1ere édition française : 1994), qui me faisait de l'oeil sur les rayons de la bibliothèque depuis deux bonnes années. La couverture d'âge (et de style) canonique avait tendance à me repousser (voir ci-contre). Mais je supposais qu'il était là pour de bonnes raisons. J'ai donc fini par l'ouvrir.
L'histoire : Une entité indéfinie et malveillante se réveille aux abords de la galaxie. Les hommes qui l'ont réactivée tentent de s'enfuir pour échapper à son influence fatale. Une famille parvient à passer entre les mailles du filet pour finalement s'écraser sur une planète isolée et arriérée. L'entité maligne, bientôt baptisée Perversion sur les réseaux de communication de la galaxie, prend de l'ampleur et infecte toute la zone supérieure de celle-ci, système après système. Elle détruit au passage les mondes de l'humanité, et cherche sans relâche des informations dans tous les réseaux de communication disponible. Une documentaliste humaine, Ravna, aidée par une Puissance incarnée en humain rafistolé et deux Cavaliers des Skrodes (qu'on ne peut décrire autrement que comme des plantes en pot à roulette dotées d'intelligence), découvre que le vaisseau familial perdu pourrait transporter le remède à la Perversion. Ravna doit donc partir en direction des Lenteurs, vers le centre de la galaxie, où la vitesse de la lumière et des communication ralentit drastiquement, afin de retrouver ce vaisseau. Or, des passagers du vaisseau, il ne reste que deux enfants, Johanna et Jefri, pris séparément en otage par des factions rivales de la population de la planète. Une population étonnante, constituée de créatures proches du chien, qui possèdent une intelligence et une personnalité propres à partir du moment où elles se regroupent en meutes d'au moins trois individus. Ces individus sont appelés les Dards. Le récit déroule donc en parallèle la survie des enfants sur la planète étrangère et la course-poursuite menée par Ravna pour échapper à la Perversion et parvenir à temps à la planète de Johanna et Jefri.
Mon avis : je vais hurler avec la meute (ha, ha !) : Un feu sur l'abîme n'a pas volé son prix Hugo ! La première chose qui m'a frappée dans ce roman, c'est l'idée (somme toute géniale) de Vernor Vinge d'avoir imaginé que le centre de la galaxie, de par sa densité, ralentit la lumière et donc, les communications. Les civilisations qui y naissent sont donc bloquées dans leur développement. A contrario, les abords extérieurs favorisent les communications et les déplacements, c'est à dire... le développement des civilisations interstellaires et des technologies les plus avancées. A tel point que les civilisations qui ont dépassé le bord de la galaxie entrent dans un état de Transcendance et se transforment en Puissances.
La deuxième trouvaille de Vernor Vinge est, de mon point de vue, plus bluffante encore : la civilisation des Dards, ces chiens dotés de conscience et d'intelligence, repose sur la communication télépathique et/ou ultrasonique des membres d'une même meute. Chaque meute constitue un être unique et distinct des autres meutes, à la fois féminin et masculin. Constitué de trois à six membres, le Dard compense l'absence de mains par le nombre de ses pattes et de ses museaux ; cette configuration lui permet de multiplier les points de vues et les activités simultanées, bien qu'elle possède également ses inconvénients : un Dard ne peut pas trop étirer ses membres ni s'approcher à moins de quinze mètres d'un autre Dard, sans quoi il perd son intégrité. Le nom de famille de chaque Dard est constitué du nom monosyllabique de chaque membre et son prénom reste son identité propre. Il peut conserver sa mémoire sur plusieurs générations, malgré la perte et l'ajouts de membres.
Renseignement pris, ce sont justement ces deux idées qui ont contribué au succès critique de l'oeuvre. Je ne fais décidément preuve d'aucune originalité...
Par ailleurs, la transmission des informations sur le réseau interstellaire prend une place importante, quasi prophétique, dans le roman. Quand on sait que le Web en tant que tel était inconnu du public à l'époque de la sortie de ce livre, on se dit que Vernor Vinge a fait preuve de flair - voire d'un don de voyance !
Pendant le voyage de Ravna et de ses compagnons (je suis devenue fan des Cavaliers des Skrodes), les échanges de messages sur le réseau galactique tiennent une place prépondérante. Ils illustrent de façon étonnamment réaliste les difficultés de la communication et de la fiabilité des informations qui transitent dans un espace aussi grand, habité par des espèces aussi diverses. La prégnance du réseau permet toutes les manipulations, mensonges relancés à l'infini par des intermédiaires ignorants, incitations à la haine, élucubrations religieuses et pseudo-scientifiques, et surtout, ce qui m'a le plus interpellée, indifférence des utilisateurs du réseau face à des tragédies qui leur semblent lointaines - alors que l'existence même du réseau de communication rend cette notion de distance caduque. Une préfiguration extraordinaire de la toile mondiale actuelle.
Pour une vieille baderne, dont le scénario ultra-classique pourrait lasser, Un feu sur l'abîme étonne : on se retrouve pris dans les rêts d'un univers fabuleux.
Chroniqué aussi par : Gromovar
Laffont, 1994 et 2011 ; LG.F., 1998.
Genre : science-fiction, space opera