Je viens de découvrir l'auteur Robert J. Sawyer par ses deux romans Eveil et Veille. Je les ai lus d'affilée, je ferai donc ici un billet global.
Eveil raconte l'histoire croisée d'une adolescente aveugle, d'un chimpanzé qui maîtrise la langue des signes, d'un blogueur chinois contestataire et d'une conscience qui s'éveille à l'intérieur du Web.
Le fil narratif se concentre autour de l'adolescente. Caitlin est surdouée en mathématique. Elle tient un blog, comme toute ado de son âge, et peut surfer sur le Web grâce à une assistance logicielle. Son père ayant une promotion, elle vient d'intégrer un lycée normal au Canada, alors qu'elle était scolarisée auparavant dans un établissement pour malvoyants. Caitlin apprend d'un scientifique japonais, le Dr Kuroda, que sa cécité pourrait être corrigée grâce à un appareillage qui recode les données transmises de son oeil à son cerveau. Cet appareil, qu'elle rebaptise bientôt OeilPod, peut être mis à jour et certaines données transmises au centre de recherche japonais grâce à une connexion Wifi au Web. L'opération au Japon, expérimentale, est une réussite... Sauf que Caitlin ne voit, de prime abord, que des lignes et des cercles de couleur reliés entre eux : elle "voit" le Web...
Le singe, Chobo, est en danger, car son zoo d'origine souhaite le récupérer auprès du centre de recherche de Californie qui l'accueille, au mieux pour le castrer, au pire pour le supprimer. Chobo est en effet un hybride, né d'une mère bonobo et d'un père chimpanzé. Mais le centre de recherche ne souhaite pas s'en séparer, ne serait-ce que parce que Chobo est très doué en langue des signes. Il parvient même à discuter via une webcam avec un autre singe "parlant" situé sur la côté Est.
Sinanthrope est un contestataire au régime chinois, blogueur et hacker. Il se rend compte que, suite à une épidémie de grippe extrêmement contagieuse, et pour éviter que toute information gênante ne circule dans le monde, le gouvernement chinois a coupé les tuyaux du Web : plus aucune connexion n'est possible en dehors de la Chine.
Et alors que Sinanthrope tente de passer les pare-feus installés par les autorités, une conscience émerge du Web scindé en deux parties. La coupure a provoqué cette émergence : quelque chose à disparu, cela signifie donc que "quelque chose" existe...
Si vous ne voulez pas de spoiler, arrêtez-vous là.
Dans Veille, Sinanthrope a disparu du récit, mais Caitlin et Chobo sont toujours là, accompagnés désormais du bien nommé (en termes de pertinence, mais pas d'originalité) Webmind.
Webmind apprend grâce à Caitlin et ses proches à décrypter le contenu de... lui-même (!), lire les textes évidemment, mais aussi à écouter et regarder les fichiers audio et vidéo. Une fois faite le tour de la question, il considère que l'humanité se porterait mieux si elle était plus heureuse. Il décide donc de faire le bien de l'Humanité. Si. Et donc, d'intervenir dans le mesure de ses moyens dans la vie des gens, de façon à faire monter le niveau de bonheur du genre humain. Voire celui des chimpanzés.
Caitlin apprivoise le monde depuis qu'elle a recouvré la vue, en commençant par ses parents. Elle apprend à mieux connaître son autiste de père, aimant, génial et totalement à côté de la plaque. Caitlin découvre aussi l'importance des apparences, elle pour qui ce mot ne signifiait jusqu'alors rien de plus qu'un concept ésotérique. Et puis, comme toute ado de 16 ans, Caitlin s'intéresse au sexe opposé, voire au sexe tout court.
Malheureusement pour Caitlin et Webmind, les services secrets américains découvrent l'existence de Webmind et décident, en toute logique, de le supprimer. Quand on ne connaît pas quelque chose, on le supprime. On faisait comme ça au Moyen-Age, alors pourquoi changer, n'est-ce pas ?
En réponse aux attaques américaines, Webmind et Caitlin décident de conserve de révéler au grand jour l'existence de Webmind, via quelques outils bien pratiques : la suppression de tous les spams, et un message explicatif envoyé à toutes les boites de messagerie existantes...
La lecture de ces deux romans s'est révélée agréable, très rapide... et parfois décevante. L'écriture et la construction du récit sont fluides et classiques. Les personnages peuvent être attachants, particulièrement le père de Caitlin, dont le syndrome d'Asperger permet de mettre en scène des situations délicieusement absurdes, mais ils souffrent dans leur majorité d'un traitement psychologique un peu succinct. Et puis, quelques idées sont définitivement trop naïves pour être crédibles... Une conscience informatique qui veut sauver le monde, sans pour autant tomber dans les écueils évoqués par les grands classiques de la SF (type 1984 d'Orwell) ? La ficelle est grossière.
En revanche, Eveil et Veille fourmillent d'informations sur le fonctionnement du Web, ce que j'ai beaucoup apprécié. La fiction est si bien mêlée à la réalité que j'ai vraiment cru que le moteur de recherche Jagster existait. Mais non. J'ai en outre particulièrement savouré les passages qui développent la découverte visuelle du monde par Caitlin, où toutes les expressions entendues auparavant font peu à peu sens pour elle, et où elle apprend à déchiffrer les signes de communication non verbale. Il y a là quelques très jolies scènes.
J'attends donc de lire le troisième opus, Merveille, sans passion mais avec une vraie curiosité.
Robert Laffont, Ailleurs & Demain, 2009 et 2010.
Genre : anticipation