Avant propos : j'ai l'édition la plus ancienne de l'oeuvre, traduite en 1955 par Henri Robillot (édition américaine : 1950). Une nouvelle traduction a été faite en 1997 par Jacques Chambon, où les dates des titres ont été modifiées (reportées de 31 ans) et deux nouvelles ajoutées.
L'histoire : en 26 nouvelles (ou 28, suivant l'édition), Ray Bradbury raconte l'histoire de la colonisation de Mars par les Terriens de janvier 1999 à octobre 2026. Les premières tentatives se soldent par des échecs retentissants, car les habitants de Mars, d'abord incrédules, se servent ensuite de leur don de télépathie pour éliminer les envahisseurs un par un, les enfermant dans des illusions mortelles.
Puis les martiens disparaissent progressivement sous le poids de leur civilisation millénaire décadente, leur incapacité à faire face à une telle invasion et... la varicelle.
Après une phase aventureuse, pionniers en tête, les humains prennent possession de la planète et la transforment en petit paradis des années 50 made in US : pavillons bien tenus, propreté, paix et prospérité.
Reste que la colonisation de mars ouvre des perspectives inattendues sur terre, ce qui donne une très belle scène de révolte et d'exode des afro-américains maltraités par les red neck du sud des Etats-unis dans la nouvelle Juin 2003 : à travers les airs.
Alors que la colonisation bat son plein, une guerre se déclare sur Terre. Lorsque celle-ci prend les plus graves proportions, les humains partent de Mars pour aller retrouver leur proches sur Terre. Quelques irréductibles ou distraits restent en arrière, sur une planète à l'abandon.
La civilisation terrienne elle-même est détruite par les ravages d'une guerre nucléaire. Une destruction évoquée avec force dans la nouvelle Août 2026 : il viendra des pluies douces. Certains tentent de trouver refuge sur une Mars désertée, cette dernière histoire clôturant le cycle des 26 nouvelles.
Mon avis : j'avais lu ce livre il y a des années, mais j'avoue que j'en gardais un souvenir très flou. Cette petite lecture commune m'a donc rafraîchi la mémoire... et m'a laissée assez ébahie : je n'avais donc rien vu, rien compris à l'époque de ma première lecture ?
Ces nouvelles, écrites entre 1945 et 1950, sont l'exact reflet du début de la guerre froide entre les Etats-unis et l'URSS, avec la peur du nucléaire, mais aussi la bien-pensance, la suffisance et l'étroitesse d'esprit de la société WASP américaine... Et j'en passe. Ray Bradbury écrit là une critique tranchante de sa civilisation, sous couvert de nouvelles parfois très courtes (une demi-page), souvent poétiques, parfois farfelues, mais aussi empreintes de cynisme. Certains thèmes, comme la censure de la littérature fantastique dans le fabuleux Usher II, seront plus développés plus tard de façon plus radicale encore dans Fahrenheit 451. Le colonialisme y est développé dans ses pires aspects, dénonçant cette propension américaine (occidentale ?) à transformer les terres inconnues en petit chez-soi bien confortable et familier, détruisant toute trace de civilisation plus ancienne sous le rouleau compresseur de ses propres structures.
Ils apportèrent cinq mille mètres cubes de pin d'Oregon pour construire la dixième cité et vingt six mille mètres de sapin de Californie et ils assemblèrent une coquette petite ville au bord des canaux de pierre. Le dimanche soir, on pouvait voir les vitraux rouges, bleus et verts des églises s'illuminer et entendre des voix chanter les hymnes numérotés.
Chantons maintenant le 79. Chantons maintenant le 94.
[...]
Il semblait, à bien des égards, qu'un énorme tremblement de terre eût descellé toutes les fondations d'une ville d'Iowa, puis, qu'en une seconde, un typhon fabuleux eût transporté la ville entière jusqu'à Mars pour l'y déposer sans une secousse...
(Février 2003 : Intérim)
Je garde de cette lecture un sentiment d'admiration : ces histoires sont des bijoux. De tous petits bijoux, qui valent leur pesant d'or au mot, à la virgule près. Mais un terrible sentiment d'amertume m'a poursuivi de la première à la dernière nouvelle. Il y a comme un chagrin, une sorte d'écoeurement, dans ce que Ray Bradbury écrit. Comme s'il n'avait aucune foi en l'homme et en sa capacité de rédemption. Cela a ralenti mon rythme de lecture, ma capacité d'absorption de cette amertume étant limitée à quelques pages par jour.
Mais, Chroniques martiennes est à mon sens (comme à celui de bien d'autres) une oeuvre majeure et indémodable, inclassable. A découvrir.
Ce livre a été lu dans le cadre d'une lecture commune lancée par Guillaume le Traqueur, avec la participation de Lorhkan et de Julien le Naufragé.
Denoël, collection Présence du futur, édition 1955, impression 1978.
Genre : science-fiction, anticipation