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  • Mort aux grands, de Pierre Léauté

    images.jpgGenre : uchronie ubuesque

     

    Résumé : 1919. La Première Guerre mondiale s’achève enfin et la France doit reconnaître sa défaite face à l’Allemagne. Humiliée, ruinée, la population vit désormais sous le joug du grand Kaiser. Des cendres de la défaite va cependant s’élever un homme qui ne se résigne pas : le soldat Augustin Petit !

    Lui seul a compris les raisons de la déroute. Lui seul en connaît les responsables. Lui seul a le courage de les désigner : les grands ! Voici poindre la terrible revanche du plus patriote des rase-moquettes. Vive les petits bruns !

     

    Mon avis : « Ah, vous avez fait des études d'histoire ? Alors, vous verrez, ça devrait vous plaire.... » : tels furent les mots prononcés par l'auteur à mon intention alors qu'aux Intergalactiques 2016 à Lyon je rendais visite au stand de son éditeur, Le Peuple de Mü. Pour y voir Emmanuel Quentin - mais on le sait, la vie est faite de rencontres.

    Donc, un an plus tard, je tire Mort aux grands de ma PAL et je le lis. Un court roman, d'aucuns diraient une novella, qui raconte l'histoire d'Augustin Petit, poilu patriote et revanchard. Car dans ce récit, la France a perdu la première guerre mondiale face à l'Allemagne. Augustin Petit refuse cette défaite, cherche et trouve les responsables de cette débâcle : les grands.

    Voici donc un roman féroce et drôle, et qui m'a paru fort salutaire. Plutôt pamphlet politique et social que roman, d'ailleurs, il dénonce la bêtise humaine et les ravages auxquels l'ignorance et la haine peuvent mener. Augustin Petit est le Hitler à la française, qui part en guerre contre les grands comme l'autre était parti en guerre contre les juifs. C'est évident, mais que c'est bien construit ! Pertinent, très documenté (Pierre Léauté est prof, dans la-vraie-vie-qui-fait-gagner-des-sous : ça aide), malin : on se prend un camouflet. Et on est content de l'avoir reçu !

    Par ailleurs, Mort aux grands est écrit dans un très joli français, volontairement ampoulé pour la mise en contexte, qui se révèle un vrai plaisir de lecture.

    Je te recommande donc ce livre, ami lecteur, pour sa pertinence et sa drôlerie, qui nous rappelle combien il est important pour les peuples d'avoir de la mémoire et un minimum de culture générale. Sinon, ils se retrouvent avec des pays dirigés par des Augustin Petit - ou des milliardaires à mèche.

     

    Edition : Mü éditions,  2015

  • Prenez le temps d'e-penser, tome 1, de Bruce Benamran

    Prenez-le-temps-d-e-penser.jpgGenre : tu crois que t'est nul en sciences ? Lis ce livre.

     

    Résumé : Vous vous interrogez sur des phénomènes simples sans retrouver dans quelle case de votre cerveau vous avez rangé ce que vous avez appris en 5ème. Vous êtes curieux mais pas franchement scientifique, ce livre est pour vous. Qu'est-ce que l'électricité statique ? Pourquoi un aimant aimante-t-il ? Savez-vous ce qu'est la quinte essence ? Pourquoi éteint-on les lumières dans un avion un quart d'heure avant d'atterrir de nuit ? Mendeleïev est-il le premier vrai punk de l'histoire de la Russie ? Qu'a-t-elle donc de si « générale »  la relativité générale ? Le temps est-il une illusion  ? La lumière est-elle d'ondes ou de particules ? Prenez le temps d'e-penser est le premier livre de Bruce Benamran, créateur de la chaîne YouTube de vulgarisation scientifique e-penser.

    «  Lire Bruce, c'est minimiser le risque de faire partie, sans le savoir, par mégarde, du triste clan de ceux qui se considèrent comme supérieurs par simple idée reçue, par convention, comme ça. Sans e-penser. » - Alexandre Astier.

     

    Mon avis : Bruce Benamran est youtubeur. Plus exactement, il est le créateur de la chaîne YouTube de vulgarisation scientifique e-penser. Vu comme ça, on se dit : aïe. Il sait peut-être faire des vidéos (et quand on voit ce qu'il y a sur Youtube, on peut encore en douter), mais écrire un livre ?

    Ben en fait, si. Il écrit même très bien. (Il sait d'ailleurs aussi faire des vidéos).

    Bon, alors, j'ai mis un mois à lire le bousin. D'abord parce que je lis autre chose en même temps, comme par exemple Où s'imposent les silences, parce que je fais autre chose de ma vie, comme travailler, élever des gnomes, m'entraîner parfois au karaté, et parce que ça reste un livre de sciences : ça se lit moins vite qu'une nouvelle de Ken Liu. Entre temps, je suis aussi allée à la découverte de sa chaîne vidéo, et... je suis tombée raide dingue du mec. Oui, il a le même âge que moi et de beaux yeux, mais ce n'est pas pour ces raisons. Quoique.

    Je suis tombée raide dingue de BB (oui, Bruce, tu permets que je t'appelle par tes initiales ?) parce qu'il est vraiment, vraiment très doué en pédagogie et en didactique, qu'il reste intraitable sur la précision de ses explications afin de ne pas rendre faux un fait trop simplifié, qu'il sait doser son humour et qu'il écrit très bien. Je l'ai déjà dit, non ? Il écrit ses vidéos autant que ses livres, et ça se voit.

    Dans ce livre, donc, partant d'une explication absolument salutaire sur la différence entre la corrélation et la causalité, il mène un petit bonhomme de chemin qui va de l'atome à la théorie de la relativité générale, en passant par le système solaire et la mécanique newtonienne. Et j'ai (presque) tout compris.

    Quand on a un goût modéré pour les sciences (et je ne parle pas au figuré, mais au sens propre : j'aime vraiment les sciences, mais modérément parce que les mathématiques ont presque toujours été hors de ma portée, et qu'on a besoin des maths pour la physique, la chimie et la biologie), s'informer et comprendre n'est vraiment pas toujours facile. Les sources donnent souvent des explications trop simplifiées, auquel cas elles finissent immanquablement par être fausses, ou trop complexes, et là, je suis perdue depuis bien longtemps.

    L'objectif de BB, c'est donc d'expliquer clairement et précisément des concepts qui sont parfois vraiment très difficiles à comprendre, sans y mettre d'équations mathématiques. J'avoue que j'ai été larguée dans un chapitre sur l'électricité, et un peu sur la relativité. Mais j'ai compris tout le reste ! Sur presque 400 pages, ce n'est quand même pas si mal.

    Les scientifiques pur jus y trouvent forcément à redire : la plupart d'entre eux (et j'ai des amis proches dans cette communauté) considèrent comme parfaitement inacceptable d'expliquer un principe physique sans l'accompagner de sa base mathématique, en raison de l'inexactitude que cela entraîne. J'ai d'ailleurs lu ici et là des critiques assassines sur le travail de vulgarisation de la chaîne e-penser. Oui, mais ces gens là n'ont pas mon « handicap », que je partage avec beaucoup, beaucoup de gens (la majorité de la population, en fait) : ne rien comprendre aux maths au-delà du niveau bac. Et même en dessous. Et puis, ça dépend quel bac. Bref.

    aristote-2.jpgLe découpage du livre est aussi logique et pédagogique que possible : BB commence par des notions qui sont reprises plus tard, dans d'autres chapitres abordant des questions qui nécessitent déjà une bonne culture scientifique. Il explique à de nombreuses reprises quel est le véritable état d'esprit scientifique, qui n'est évidemment pas de faire renter dans un modèle ses idées préconçues, de prouver qu'on a raison - c'est plutôt le contraire, en fait. Les expériences ratées, comme il le raconte très bien, ont sans doute plus apporté à la science que les expériences réussies. Par ailleurs, il se donne la peine de retracer l'historique des découvertes dans un domaine donné, passant de chercheur en chercheur à travers l'histoire, de théories validées ou invalidées en preuves par l'expérimentation, en y joignant son running gag : la nullité d'Aristote en sciences (ci-contre). Et c'est vrai, quand on y pense : il était vraiment pas doué, le mec. Quand on pense que c'est lui qui a dit qu'on est composé d'eau, d'air, de terre, et de feu et que la terre est immobile. Et que ces théories (ainsi que d’autres) ont perduré plus loin que le moyen âge...

    Il s'agit là d'un point fort de BB : il sait distiller les anecdotes amusantes, voire carrément drôles, tout au long de son ouvrage, de façon à reposer le pauvre cerveau du néophyte. Lisez ou regardez l'histoire de Guillaume Le Gentil, mort deux fois en cherchant Vénus... Elle vaut son pesant de lunettes d'astronomie. BB propose dans sa rubrique La preuve par vieux de multiples biographies croustillantes des savants qui ont émaillé l'histoire des sciences. On n'est pas étonné que BB soit inspiré par l'oeuvre d'Alexandre Astier, père de Kaamelott, Que ma joie demeure et L'Exoconférence. L'humour et les références sont très semblables, les citations de Kaamelott nombreuses.

    Je suis donc ressortie de cette lecture infiniment plus cultivée dans le domaine des sciences, j'ai élargi et affiné ma compréhension du monde, et je vais tanner mes proches pour qu'ils m'offrent le tome 2 de Prenez le temps d 'e-penser - et le tome 1 aussi, en fait, parce qu'on m'a prêté celui que je viens de lire. (Merci infiniment à Éliane, 56 ans, qui me l'a mis dans les mains et qui s'intéresse à tout, alors qu'elle n'a pas le bac et souffre d'un énorme complexe d'infériorité à cause de cela.)

     

    Tu comprendras donc, cher lecteur, que si d'une, tu ne connais pas ce livre, et de deux, que tu n'es pas déjà toi-même chercheur en sciences, l'intérêt de découvrir cet ouvrage.

     

     Édition : Marabout, Novembre 2015 ou  Poche Marabout, Janvier 2018

     

  • Où s'imposent les silences, d'Emmanuel Quentin

    CVT_Ou-simposent-les-silences_2681.jpg

    Genre : gymkhana entre les mondes

     

    Résumé : D’où que vous veniez, quelle que soit votre Terre d’origine, êtes-vous sûr de vouloir lire les lignes qui suivent ? De vous entendre résumer une histoire en quelques mots sous prétexte qu’ils vous éclaireraient sur son contenu ? Voulez-vous vraiment savoir ce que recèlent ces pages ? Sachez donc que vous allez partir à la rencontre d’un étudiant confronté à un tableau de la Renaissance pour le moins anachronique, d’un flic enquêtant sur un cadavre improbable, et d’une femme amnésique se réveillant dans un champ désolé. Trois personnes rattrapées par le déséquilibre des mondes. Si votre Loi vous y autorise, ouvrez ce livre, avant que ne s’imposent les silences.

     

    Mon avis : L'auteur m'avait prévenue : « Blop, tu devrais aimer celui-ci plus que le précédent ! ». Et il avait raison. Là où le genre fantastique associé au thriller ne m'attirait guère dans Dormeurs, la science-fiction à suspens d'Où s'imposent les silences me plaît.

     Ce roman au si beau titre et à la couverture splendide (de Pascal Casolari) se lit vite. Trop vite, en fait.

    L'auteur m'avait aussi dit : « tu vas voir, j'ai travaillé le personnage féminin, tu m'en diras des nouvelles ! ». Effectivement, LA femme du récit (oui, parce qu'en fait, il n'y en a guère d'autre... Pourquoi tous les autres personnages principaux sont-ils des hommes ? Hein, Manu, pourquoi ? Je sais, tu vas dire que je ne suis jamais contente...), lorsqu'on comprend ce qu'elle est et d'où elle vient, est un personnage intéressant, résilient et redoutable. Et encore ne fait-on que deviner les traits de sa personnalité en creux : il y a beaucoup plus derrière que ce que l'auteur en dit.

    La flopée de personnages principaux (c'est un vrai roman choral) est réussie, ils sont attachants, mais leur contextualisation est trop brève -  à l'exception de Dimitri - pour les voir véritablement évoluer durant le récit. On a envie d'en savoir plus, parce que le récit de leurs mésaventures est prenant et addictif. En fait, je crois que ce roman m'a frustrée parce qu'il m'a plu. Oui, ma vie de lectrice est compliquée...

    Mais sinon, quid de l'histoire ? Matthias, Alex Jovic et LA femme : trois personnages initiaux pour trois récits distincts se superposent, dans deux univers différents. Puis trois. Puis quatre. La force d'une narration bien menée, c'est de ne pas perdre ses lecteurs dans une construction aussi éclatée. Ici, pas de problème : on rentre dans le livre, on accompagne les personnages, et on n'a pas la moindre envie de les lâcher. Page-turner accompli, voici un roman qui assume sa fonction divertissante tout en distillant quelques problématiques contemporaines.

    L'univers "normal" de Matthias et Alex se déroule sur une terre, qui dans moins de 20 ans, est dévastée par une épidémie. LA femme se retrouve dans un univers immobile, où elle est véritablement engluée. Et puis, il y a les autres, Dimitri en tête, qui proviennent d'une terre alternative victime des menées conquérantes de la « République » de Falmur, qui asservit politiquement et psychologiquement les peuples conquis, afin de faire prévaloir la puissance et l'absolue dictature de la Loi (falmurienne). La Loi a toujours raison, et il est bon de le faire savoir au monde entier. Et mêmes aux autres (mondes), tant qu'à faire.

    Les silences dont il est question dans ce titre poétique sont ceux imposés par la Loi, qui ne tolère pas d'autres langues, pas d'autres voix que la sienne. Bien que le contexte politique ne soit pas suffisamment développé à mon goût, le roman propose des pistes qui tournent autour de la défaite de la démocratie, et du virage réactionnaire et obscurantiste qu'elle prend en période de crise des valeurs. Un rappel utile en ces temps troublés, où les libertés fondamentales se désagrègent peu à peu, et ce, sous notre nez.

    Le portrait d'un violeur est tout aussi impressionnant et pertinent quant à l'intégration inconsciente de la culture du viol par les individus. Une thématique anti-sexiste qui ne pouvait que me plaire.

    Je peux par ailleurs évoquer les différences de tonalité d'écriture qui caractérisent le personnage en scène dans le chapitre, et qui rendent le récit d'autant plus vivant.

    Ces aspects, et bien d'autres encore, sont abordés dans Où s'imposent les silences. Ils témoignent d'une belle largesse de spectre. Tout cela est d'autant pus frustrant que le roman est court. J'en suis à rêver qu'Emmanuel Quentin produise des romans-fleuve à la Brandon Sanderson, imaginez un peu !

     

    Merci donc, Emmanuel, pour ce chouette roman. J'ai beaucoup apprécié ce moment de lecture. Je ne l'ai d'ailleurs pas sitôt terminé qu'il est passé de l'autre côté du lit, sur la table de chevet de M. Blop. Il m'en dira des nouvelles...

     

    édition : Le Peuple de Mü, 2017