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bit-lit

  • Joie, sifflotements et bonne humeur

    Alors que je lis très, très... très lentement Enig Marcheur de Russell Hoban (je le finirai !), j'ai récemment commis l'irréparable erreur de fourrer mon nez dans un autre bouquin alors que j'étais au travail - comme quoi, on a parfois le temps de lire en bibliothèque ; mais ne vous méprenez pas, ce n'est vraiment pas tous les jours. Ce bouquin, c'était Sans Âme, le premier tome du Protectorat de l'ombrelle, de Cail Garriger.

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    Je n'aurai pas dû.

    Parce que je me suis enfilé les trois autres tomes sans souffler (à la maison, pas à la bibliothèque). Et Enig s'est lamentablement retrouvé sur la touche, comme le pauvre hère qu'il est.

    Le Protectorat de l'ombrelle est commis par une californienne qui se prend pour une anglaise, et traduit avec beaucoup de finesse par Sylvie Denis. Je lui rend hommage ici et maintenant parce que, si je ne sais pas ce que vaut le texte original, je peux vous dire que la version française est excellente. Sans Âme, Sans Forme, Sans Honte et Sans Coeur constituent les quatre tomes actuels de cette série.

    Mademoiselle Alexia Tarabotti en est l'héroïne, vieille fille de 26 ans corsetée dans la société londonienne de la deuxième moitié du XIXe siècle, sous le règne de sa Majesté la reine Victoria. Affublée de deux demi-soeurs plus jeunes et beaucoup plus stupides, qu'elle doit chaperonner telle une duègne lors des réceptions de la bonne société anglaise, Mademoiselle Tarabotti a en outre trois très gros défauts : elle a des origines italiennes, c'est un bas-bleu notoire, et elle n'a pas d'âme. Le deux premiers défauts étant certainement les plus embarrassants.

    Sans forme.jpg

    Cela étant posé, le fait de ne pas avoir d'âme dans une société qui a accepté de compter officiellement dans ses rangs les êtres surnaturels peut parfois avoir ses avantages. Car fantômes, vampires et loups-garous redeviennent immédiatement mortels s'ils ont la maladresse de se retrouver en contact dermique direct avec Mademoiselle Tarabotti. Cela ajouté au fait que Mademoiselle Tarabotti jouit d'une robuste constitution (et d'un solide appétit) et qu'elle sait se servir à merveille de son ombrelle en toutes circonstances, menaces solaires ou surnaturelles, elle sait tirer son épingle du jeu et protéger sa vertu en ces temps troublés.

    Jusqu'à ce qu'un vampire très mal éduqué s'en prenne à elle, et qu'elle le tue en état de légitime défense. A partir de cet instant, Mademoiselle Tarabotti est l'objet d'attentions multiples et incessantes, à visées parfois mortelles, dont la plus encombrante est l'enquête du Bureau des Registres Surnaturels, incarnée le plus fréquemment en la personne de son directeur, Lord Maccon, Alpha de la meute de loups-garous de Woolsey. Quelques désagréments s'ensuivent, qui durent environ... 4 tomes. Je vous laisse le plaisir de découvrir seul(e) de quels désagréments il s'agit.

    Félicité et Evelyne étaient les demi-soeurs cadettes d'Alexia par leur naissance, et n'avaient aucun point commun avec elle si l'on prenait en compte n'importe quel autre facteur. Elles étaient petites, blondes et minces, alors qu'Alexia était grande, brune et en toute franchise pas si mince que ça. Alexia était réputée dans tout Londres pour ses prouesses intellectuelles, son intérêt pour les sciences et son esprit mordant. Félicité et Evelyne étaient réputées pour leurs manches bouffantes. En conséquence, le monde était en général plus paisible quand elles ne vivaient pas toutes les trois sous le même toit.


    Sans honte.jpgLe protectorat de l'ombrelle est sans l'ombre d'un doute de la bit-lit, ou paranormal romance, comme on dit aux states. Et, sans l'ombre d'un doute, il en détourne tous les codes. Voyez plutôt :

    • - le héros est bien une héroïne. Sauf qu'elle n'est pas une adolescente, mais une adulte.
    • - l'héroïne est bien célibataire au début de l'histoire. Sauf qu'elle ne cherche pas le moins du monde à rencontrer l'amour de sa vie. Tout ce qui l'intéresse, ce sont les parutions scientifiques de la Royal Society et le plaisir de pouvoir prendre le thé dans une bibliothèque.
    • - l'héroïne ne se trouve pas belle, naturellement. Sauf qu'elle n'est pas une gracile demoiselle éthérée, mais une quasi matrone, aux charmes pulpeux et à la personnalité dominatrice.
    • - il y a bien des vampires et des loups-garous. Sauf que le vampire principal est un homosexuel notoire et que les loups-garous sont extrêmement poilus et souvent mal élevés.

    En réalité, ce qui distingue à mon sens Le protectorat de l'ombrelle, c'est le fait que le lectorat visé est un lectorat adulte - malgré les couvertures très girly. Nous sommes sans aucun doute dans une littérature populaire, aventureuse et facile à lire. Mais le contexte est soigné, élaboré dans une esthétique steampunk bien plus développée que dans la littérature fantastique habituelle (on y voit de nombreuses références science-fictionnelles). Les personnages variés et hauts en couleur offrent une palette de plaisirs renouvelés, jusque dans le 4e tome, alors que l'on pense - à tort - en avoir fait le tour. Je pourrai également citer la sexualité des personnages ; l'homosexualité y est presque aussi courante que l'hétérosexualité, ce qui est rare dans la littérature pour ado ou jeune adulte, souvent plus manichéenne.

    Sans coeur.jpgLe principal atout du Protectorat de l'ombrelle, c'est qu'il est indéniablement, immanquablement et très agréablement drôle. En cette sombre saison où la lumière comme la chaleur font défaut, on rit aux aventures pourtant fréquemment nocturnes d'Alexia Tarabotti. Son aplomb, sa logique sans faille, son intransigeance en matière de bonnes manières et de goûts vestimentaires, son absence absolue de sentimentalisme en toutes circonstances m'ont réchauffé le coeur et réjouit l'esprit. Le ton et le style volontairement maniérés de la narration pourraient faire fuir quelques lecteurs blasés, mais je me suis prise au jeu avec délectation. Le code de bonne conduite de la haute société, inspiré de l'époque victorienne, est utilisé et détourné de façon souvent hilarante. C'est romantique, absolument romanesque, et jamais nunuche.

    J'ai lu des romans plus ambitieux, plus intelligents, plus fins, plus aboutis ou plus touchants, mais rarement ai-je lu des romans qui me procurent autant de plaisir. Honnêtement, je crois n'avoir pas pris un tel pied depuis Le chardon et le tartan de Diana Gabaldon.

    Or, il se trouve que j'ai ouvert ce blog pour la même raison qui m'a poussée à devenir bibliothécaire : pouvoir partager le plaisir immense d'une bonne lecture. J'espère que c'est chose faite, en cette fin d'année 2012.

     

    Editeur : Orbit. Janvier 2011 pour Sans Âme, Novembre 2011 pour Sans Forme, Avril 2012 pour Sans Honte, Novembre 2012 pour Sans Coeur.

    Genre : fantastique, steampunk (oui, je sais, ce n'est pas un genre...), romance, bit-lit.

    Egalement chroniqué chez : Lhisbei, Vert