Cagebird est le troisième tome de l’œuvre de Karin Lowachee dans l’univers du ConcentraTerre. Après Warchild , que j’ai beaucoup apprécié, et Burndive qui m’a agacé, le roman continue à raconter les enfants dans la guerre. Les trois tomes sont indépendants, bien que les récits forment une mosaïque.
Cet opus de la trilogie est cette fois centré sur Yuri Terisov, principal lieutenant du capitaine Falcone, le pirate responsable de tous les maux de Jos Musey dans Warchild et à l'origine de la tentative d'assassinat sur Ryan Azarcon dans Burndive. Ce troisième roman s’annonce donc comme une incursion dans le tiers-monde de l'univers de Karin Lowachee, tiers-monde au sens littéral : le réseau pirate forme un tiers de poids dans le conflit qui oppose les humains du ConcentraTerre aux aliens Striviic-Na.
Le récit commence au moment où Yuri est en prison sur Terre, suite à son arrestation par le commandant Azarcon à la fin de Burndive. Un service de police spéciale tente de négocier avec lui afin d’infiltrer l’ensemble du réseau pirate monté par le capitaine Falcone. Piégé comme un débutant (qu’il n’est pourtant pas) à cause des sentiments qu’il éprouve pour son camarade de cellule, Yuri est contraint d’accepter, en apparence au moins, le marché qu’on lui impose. Il est alors exfiltré et repart dans l’espace retrouver ses anciens camarades, sous la surveillance constante de ses commanditaires.
La reconquête du réseau pirate amène Yuri à des réminiscences sur son enfance. Le lecteur apprend donc que la guerre du ConcentraTerre contre les « Strits » a détruit son foyer et déporté sa famille dans des camps de réfugiés. Celle-ci est coupée en deux pendant la déportation : Yuri est séparé de sa mère et de son frère, et reste avec son père et sa sœur. Désœuvré et sans perspective dans un camp isolé sur une planète cul-de-sac, Yuri tombe sur un capitaine de vaisseau marchand qui propose un contrat à son père pour le former et le faire travailler. Le père accepte, Yuri est plutôt partant... Le contrat est signé. Il s’avère bientôt que le marchand est un pirate, il s’agit du capitaine Falcone lui-même, à la recherche de la perle rare qui pourra le remplacer le moment venu. Yuri, avec son intelligence vive et son physique avantageux, lui semble prometteur.
Échaudé par ses précédents échecs, Falcone emploie avec Yuri la persuasion, le mensonge par ellipse, l’isolement vis-à-vis de sa famille et la douceur. A 8 ans, Yuri a l’esprit malléable, et ce lavage de cerveau est redoutablement efficace. Pendant 5 ans, il est formé au commandement, à la navigation spatiale et au combat ; il est protégé par le capitaine et aidé au quotidien par un de ses assistants, Estienne, un jeune homme doux et aimant qui entoure Yuri de son affection.
A 13 ans, bien traité, respecté et conscient de son futur rôle de chef, Yuri accepte quasiment sans broncher de passer à l’étape suivante de sa formation, qui consiste à le transformer en Geisha, en prostitué de luxe. Il apprend tous les arts de la séduction, de la musique à la conversation, en passant bien évidemment par une « formation sexuelle » très poussée. N’ayant d’autre point de repère, Yuri se plie à l’exercice. Son lien avec Estienne évolue en une relation qui mêle amour véritable et formation à la sexualité professionnelle.
Il ne commence réellement à souffrir que plus tard : quand Yuri tue son premier « client », un sadique qui l’a violenté brutalement, le capitaine le punit en l’obligeant à assassiner un de ses camarades. Mais il est alors bien trop tard : Yuri a été si bien manipulé et formaté qu’il ne peut qu'obéir et ne sait que faire de sa douleur. Il commence alors à s’automutiler…
Je ne vous raconte pas comment Yuri mène sa reconquête du réseau pirate, ce serait vous spolier d’un beau récit de suspense, de manipulation politique et psychologique, et surtout, de space opera ! Or, nous sommes en été, c’est la saison du Summer StarWars de Lhisbei, celle où tous nos rêves d’évasion stellaire, d’exploration de l’univers et de rencontres avec d’autres espèces intelligentes atteignent leurs sommets.
Mais vous l’avez compris : l’essentiel du roman se trouve dans le récit de cette enfance dévoyée. Tout comme dans Warchild, c’est cet aspect du roman qui m’a le plus touché. Mais dans Warchild, la pédophilie et la prostitution n'étaient qu'évoqués, à mots couvert. Dans Cagebird, Karin Lowachee ouvre les vannes de la transparence. On apprend tout de la manipulation et de la « formation » dont est victime Yuri Terisov. Car en effet, de bourreau coupable de tous les crimes dans les deux précédents romans, Yuri devient ici la victime de Falcone, tout comme le furent Jos et Ryan.
Il y a une douceur constante et lénifiante du ton, une narration lisse, presque enfantine, en totale contradiction avec le propos sordide. Peu à peu, le lecteur effaré prend conscience qu’il est facile, beaucoup trop facile, de faire passer pour normal un quotidien de perversion, de manipulation et de violence, pourvu que l’on s’y prenne… « bien ». Le récit exerce une fascination dérangeante, provoque une addiction douteuse à sa lecture. Il finit par donner une sacrée leçon sur la nature humaine.
Je n’aime guère les récits très noirs, et celui-ci l’est profondément. Il est sans conteste le plus noir des trois romans. Pourtant, je l’ai aimé, beaucoup aimé, sans doute parce que l’espoir d’une rédemption n'en disparaît jamais complètement.
J'ai appris après avoir fini le livre, en lisant une interview de l'éditeur, que ces romans avaient été proposés en littérature jeunesse dans d'autres pays, en raison de l'âge des personnages principaux. Que ce soit bien clair pour tout le monde : ce ne sont pas des romans pour les enfants !
Une lecture que je recommande donc chaudement, et qui n’exige pas de lire les autres tomes de la trilogie.
Lu également par : Efelle, Blog-O-Livre, Sylvain Bonnet
Le Bélial, 2012
Commentaires
Ah chouette ! J'ai adoré le premier tome, j'attends avec impatience les sorties poche de la suite ^^
Ou tu vas les emprunter à la bibliothèque du coin... ;) Le 2e m'a beaucoup moins plu, mais ce 3e est vraiment bien.
Je viens de terminer a l'instant Warbird, j'ai en effet apprécier l'histoire bien qu'il y est des zones d'ombres dans le scénario. Je vais tâcher de trouver les 2 autres tomes.
Dans toutes les bonnes bibliothèques, Frédéric ! Et tu verras que c'est un sacré univers que celui du ConcentraTerre.